lundi 1 décembre 2008

Bienvenue en Enfer

Etrange film que cette seconde réalisation de Clint Eastwood après le très personnel Un Frisson dans la Nuit (Play Misty for Me, 1971). L'Homme des Hautes Plaines (High Plains Drifter, 1973) affirme la différence de Eastwood avec les réalisateurs qui ont grandement aidé à sa renommée et, bien qu'il enterre Sergio Leone et Don Siegel en faisant apparaître leurs noms sur des pierres tombales en fin de film, utilise à sa manière les styles de ces deux réalisateurs uniques. En premier lieu, ce film se place dans la continuité de l'approche du Western à la Leone, en poussant même plus loin l'aspect révisionniste que certains des ténors des classiques hollywoodiens du genre abhorrent (John Wayne, notamment, qui déclinera l'offre de collaboration avec Eastwood après sa vision du film).


L'histoire raconte le venue d'un étranger (véritable "Homme sans nom" cette fois !) dans la petite ville de Lago, Arizona. Il est rapidement provoqué par trois têtes brûlées qui finissent par mordre la poussière sans avoir eu le temps de faire des projets d'avenir. On bascule très vite vers le surréalisme avec le viol par l'Etranger d'une prostituée (enfin ex-prostituée comme on le saura plus tard) qui provoque le "drame" volontairement. En toute impunité, l'Etranger vaque à ses occupations (emplettes diverses, toilette etc.) créant le trouble chez les habitants de Lago. Les autorités de la ville voient dès lors une opportunité unique de résoudre un souci qui les ronge. En effet, une vilaine affaire entâche la paisible bourgade, le meurtre de l'ancien marshal par trois bandits engagés par les notables de Lago. Ces derniers, livrés peu après aux autorités, s'apprêtent à sortir de prison et ont juré de se venger des habitants de Lago. L'Etranger accepte de défendre la ville, mais à ses propres conditions. Et quelles conditions ! Entre autres le souffre-douleur et homme à tout faire de la ville, le nain Mordecai, est nommé Shériff et Maire, des tables de banquets sont construites avec les planches de la grange de l'hôtelier en vue d'une petite fête, les clients de l'hôtel sont virés manu militari pour laisser toutes commodités à l'Etranger, la ville est repeinte entièrement en rouge vif et renommée "Hell" etc. Ridiculisés, touchés dans leur amour-propre, une partie des habitants complotent pour se débarrasser de l'Etranger alors que le jour du retour des bandits appproche.


Décalé, surréaliste (oui encore), émaillé de flashback/rêves énigmatiques magnifiés par la musique avant-gardiste de Dee Barton (dissonante et électronique), L'Homme des Hautes Plaines joue avec toutes les conventions du western en les détournant avec brio. La confusion des habitants, la posture énigmatique du personnage de Clint Eastwood (il apparaît et disparaît tel un fantôme) et la teneur apocalyptique de la mise en scène font osciller le film entre grotesque et fantastique, mélange très enthousiasmant à l'humour frôlant parfois l'absurde. La vengeance dont semble détenteur l'Etranger pèse tout le long du film, mais l'accent est essentiellement mis sur le comportement et le désarroi des habitants de Lago (artisans de cette même vengeance) tandis que l'Etranger lui-même demeure la plupart du temps spectateur (omniscient toutefois) des événements après les avoir déclenchés.


A la superbe photo s'ajoute un très bon casting pour cette sorte de huis clos sans fioritures ni concessions. On pourrait éventuellement en tirer une morale, mais celle-ci est intelligemment implicite pour en devenir accessoire. La fin du film le replace dans un contexte fantastique qui montre déjà le goût de Eastwood pour les atmosphères étouffantes et crépusculaires (celles que l'on retrouvera notamment dans Unforgiven) et classe définitivement L'Homme des Hautes Plaines dans la catégorie d'ovni cinématographique de grande classe. Préférez la v.o. (comme toujours n'est-ce pas ?), la v.f. induit par endroits des "clés" qui ne sont pas présentes dans les dialogues originaux.

mercredi 26 novembre 2008

Novit enim Dominus qui sunt eius

Sorti peu avant le plus "accessible" et le plus mélodique de leur album, Selfless, ce ep de Godflesh est la preuve enregistrée que le duo de Birmingham était véritablement inclassable. Se concluant sur un superbe et hypnotique remix ambient de "Don't Bring me Flowers" (tiré de Pure, 1992), Merciless offre également deux incursions malades dans un domaine ouvert autant sur l'expérimental que l'électro ou la drum'n'bass, bien entendu passé à la moulinette Godflesh. Mais le coup de semonce, également coup fatal, c'est le sublime morceau éponyme qui ouvre le disque. "Merciless" est avant tout un vieux morceau de Fall of Because, formation pré-Godflesh dans laquelle Justin Broadrick tenait les baguettes. Un morceau retravaillé donc, au tempo alourdi par l'écrasant riff de guitare, le rythme sentencieux de la drum machine et cette basse au son incroyable que l'on croirait droguée à Killing Joke et Big Black. "Merciless", c'est très certainement la fin de l'Être : cette fin que l'on passe sa vie à repousser en vain pour au bout entrevoir en elle la solution à tous nos maux. Pachydermique est le mot, entre la section rythmique plombée, le riff massif qui triture les tripes et la voix angélique de Broadrick qui s'écoule comme un esprit hors d'une enveloppe charnelle.


Show no mercy, Kicked me to the ground
Felt no pain, You're deaf to every sound

Un mastodonte s'érige et se dresse devant la lumière, fait trembler le sol de ses membres d'ivoire et écrase les restes de résistance. La douleur n'est plus, elle est diffuse et impitoyable.

dimanche 23 novembre 2008

On s'amuse comme l'on peut

Pour les téméraires qui aimeraient aborder la série Hellboy, voici une chronologie qui débute uniquement à la naissance du personnage. Elle replace par année les événements auxquels ce dernier est directement lié, les publications concernées et la première édition américaine de chaque collection dans lesquelles on peut les retrouver. Cliquez sur l'image à gauche pour voir le résultat. Les crossovers avec d’autres personnages de comics, les séries Weird Tales, Hellboy Jr., Hellboy Animated ne sont pas pris en compte ici, n’étant pas officiellement rattachés au canon de la mythologie Hellboy.De même, si certains événements se déroulant dans les nouvelles publiées en recueils sont quant à eux bien reliés au canon de la série dans le Hellboy Companion (2008), ils ne sont pas rapportés ici, exception faite de The Nuckelavee qui a fait l’objet d’un dessin pleine page dans un magazine spécial publié par Dark Horse, dessin reproduit ultérieurement dans le Art of Hellboy (2003).


Cette petite chronologie peut être lue comme une adaptation de la bibliographie officielle éditée dans le Hellboy Companion, avec l’inclusion des romans et d’une partie de la timeline de Hellboy (sont donc absents les événements n’ayant pas fait l’objet de version comic-book).


Enjoy !

mercredi 19 novembre 2008

Moloch on the rocks !

AW...CRAP ! On ne l'espérait plus, mais c'est bien arrivé : Mike Mignola est retourné à sa planche à dessins pour concocter un one-shot pour son célèbre singe rouge. Et pour cause : depuis la dernière série en date, Darkness Calls (L'Appel des Ténèbres en français chez Delcourt), Mignola a laissé le crayon aux mains de Duncan Fegredo, considérant qu'il était lui-même trop lent au regard de la masse de projets en développement (scénarii pour Hellboy donc, mais aussi, B.P.R.D. et les divers spin-off en cours ou en préparation). In the Chapel of Moloch est ainsi la première histoire d'Hellboy qu'il dessine depuis 2005 et les deux chapitres de The Island (parus en français dans le recueil Le Troisième Souhait, toujours chez Delcourt). Et l'on peut sans exagérer dire que l'attente valait le coup. La maîtrise de l'espace, des clair-osbcurs et le découpage typique de Mignola servent à merveille cette histoire de peintre possédé par une ancienne divinité maléfique. Hommage à Goya et ses visions de sorcières et autres démons particulièrement vivaces, ce nouveau comic-book démontre à quel point Mignola est passé maître de l'histoire courte (format qu'il préfère entre tous en ce qui concerne ses propres lectures). Sa plus grande réussite ici est sans aucun doute l'atmosphère particulière de décrépitude et de corruption qui émane du lieu investi, une vieille chapelle en ruine tout aussi perdue que le village dans lequel elle est sise. Le badinage de Hellboy, le rythme intelligent et le final énergique font de cette nouvelle aventure du passé du singe rouge (située en 1992, au sud du Portugal) une lecture de choix. Souhaitons qu'il ne faudra pas attendre aussi longtemps pour profiter du trait de Mignola et du superbe travail de son coloriste attitré, Dave Stewart, sur une nouvelle histoire complète. En attendant, le premier numéro (sur huit prévus !) de la prochaine mini-série, The Wild Hunt, paraîtra le 3 décembre prochain chez Dark Horse, mini-série qui annonce des changements fondamentaux dans l'univers d'Hellboy.

mercredi 3 septembre 2008

Comme une odeur de soufre



Dans la famille des hyperactifs voici Henrik Nordvargr Björkk. Membre des joyeux lurons de Mz.412, instigateur de Folkstorm et autres Toroidh, Nordvargr nous gratifie depuis un bon moment maintenant de rituels démoniaques dont l'essence infernale se bonifie (haha) à chaque album. De là à affirmer qu'un album du Suédois est comme le vin, voilà bien un pas que je ne me risquerais pas à franchir (ou alors vite fait comme ça, hop, un bond gracieux et léger comme la brise printanière). En somme, le nouveau méfait bimensuel (ou pas loin) du loup nordique (apprenez le suédois, épargnez-moi vos mines déconfites) est tout aussi enjoué et amène que ses prédécesseurs. Inspiré en partie par une légende suédoise Pyrrhula (le seigneur de l'apocalypse en gros) hypnotise par son mélange black-ambient et drone mais évite la répétition avec les oeuvres précédentes en se situant entre In Oceans Abandoned by Life I Drown...To Live Again as a Servant of Darkness (inspirez) et le récent Helvete, deux pièces où saturation et infra basses se taillaient la part du lion (pardon, du bouc) avec un son énorme et des atmosphères pas piquées des vers. Notez le feeling doom et presque metal de l'ensemble et vous aurez un aperçu plus que probant de ce qu'on peut sortir de ses machines quand on reste enfermé trop longtemps dans une cave. 8 titres pour 45 minutes et un artwork superbe (par Abby Helasdottir) chez Cold Spring qui ma foi surprend encore en sortant un bon truc de temps à autres soit à peu près toutes les 10 sorties...

mardi 2 septembre 2008

H.P. Calvez

Quoi de plus approprié pour étrenner mes divagations qu'une adaptation de Lovecraft en BD de langue française. En outre, pas la plus évidente : mettre en images Herbert West, réanimateur aurait relevé du casse-gueule tant la structure de feuilleton de la nouvelle de HPL (un des seuls travaux de l'écrivain officiellement commandé par un magazine) est propice aux répétitions et aux lourdeurs. Ajoutons que le texte est loin d'être un des meilleur du reclus de Providence bien que l'humour (particulier) y soit curieusement présent. Il faut reconnaître que Florent Calvez (U-29, Nelson Lobster) s'en sort admirablement bien, son Herbert West est tourmenté et passablement cinglé, incapable du moindre remord tandis que son acolyte (narrateur de l'histoire) rongé par une culpabilité grandissante ne peut s'empêcher d'assister le Frankenstein d'Arkham toujours plus avant dans la folie. Dessins et couleurs sont en parfaite harmonie grâce à un encrage essentiellement composé de hachures plutôt que d'aplats de noirs écrasants, ce qui permet une plongée immédiate dans les décors et offre d'emblée une dimension très précise de la personnalité des protagonistes. Rares sont les illustrateurs/dessinateurs qui ont su retranscrire l'indicible horreur des êtres lovecraftiens (Druillet, Breccia, Giger dans une certaine mesure), et bien qu'il ne s'agisse pas d'une histoire liée au Mythe, Calvez sait rendre parfaitement palpable et vivace les obsessions du célèbre écrivain (peur de l'inconnu, xénophobie, dégénérescence etc.) de manière bien plus explicite que dans la nouvelle originale. De l'excellent travail pour une oeuvre très belle et forte qui purge nos ventres repus d'abominations graphiques telles ces immondices commis par Horacio Lalia que Glénat a osé nous imposer il y a quelques années.

Réanimator
Delcourt Editions