mardi 15 décembre 2009

Esthétique de l'enfance

Alors que 2009 touche à sa fin, il n'est pas inutile de rappeler que la maison d'éditions Glénat a fêté durant les 12 derniers mois ses 40 ans de bons et loyaux services. Ainsi quelques série phares ont eu le privilège de recouvrer une seconde jeunesse matérialisée par de superbes intégrales reliées et imprimées sur du papier issu de "forêts gérées de manière durable" (ce qui semble signifier que l'on a du requérir en toute civilité la permission de l'arbre concerné) et présentées dans un emboîtage cartonné du plus bel effet. Édité originellement en 6 tomes par les éditions Vents D'Ouest (qui ont rejoint entre-temps le groupe Glénat) de 1990 à 2004, Peter Pan est sans nul doute LE chef-d'œuvre de Régis Loisel.


Bien plus qu'un simple exercice d'auto-analyse avec pour support une œuvre littéraire parmi les plus populaires du XXe siècle, le Peter Pan de Loisel est avant tout une relecture magistrale du mythe de l'enfance éternelle. En choisissant de nous narrer les "origines" du petit garçon qui ne voulait pas grandir imaginé par J.M. Barrie, l'auteur s'affranchit des contraintes de l'adaptation d'une histoire à l'imaginaire certes fascinant mais quelque peu gentillet dans ses choix de personnages : origines bourgeoises des protagonistes principaux (notamment Wendy et sa famille), contraintes sociales à peine esquissées (bien que cela ne soit pas le propos initial) etc. Loisel prend de fait à bras-le-corps l'univers de Barrie et le place dans un contexte digne de Dickens où la fourberie et la duplicité humaine font des ravages. Si l'humour très présent est salvateur (le duo Crochet/Mouche est un pur délice), il n'occulte pas l'âpreté du parcours d'un Peter bien plus à la recherche de lui-même que d'un lieu imaginaire qui attend désespérément son aide pour survivre. En résulte une aventure extrêmement riche en rebondissements (on nous révèle enfin comment Mr Croco s'est retrouvé avec un réveil dans l'estomac !), en rires et en émotions à fleur de peau sans jamais céder au misérabilisme ni au voyeurisme trop fréquemment utilisés sous le masque d'une licence artistique sans fondement.


Graphiquement, Loisel exulte. Le dessinateur prend des risques, joue avec les angles, alternant plans larges et cadrages serrés, et nos yeux peinent à s'accrocher au rebord du cadre glissant afin de retarder le plus possible l'inéluctable passage à la case suivante. Les couleurs, somptueuses, ajoute à la "charactérisation" intense et bien loin de la pourtant très sympathique version Disney (la Clochette de Loisel, "Par la Sainte Culotte de Dieu !"). L'ensemble de ce Magnus Opus est de fait marqué par une vitalité et un dynamisme qui renvoient La quête de l'oiseau du temps (autre perle de Loisel en collaboration avec Le Tendre) à une pantomime sous la neige avec "déambulateur".



Cette édition recèle en outre une pépite : l'ouvrage L'envers du décor dans sa quasi-totalité, véritable mine d'informations (scénario, crayonnés divers, notes etc.) sur la genèse et la progression d'un projet qui pris près de 15 années d'une vie d'artiste. Un superbe écrin pour une œuvre marquante qui laissera aux lecteurs une empreinte indélébile.